vendredi 8 mars 2013

Séminaire fiction des diffuseurs : budgets, attentes et projets pour 2013 (partie 1)


Je suis allée récemment au séminaire du CEEA sur les fictions des diffuseurs pour 2013. Passionnant ! Deux jours entiers à entendre parler des attentes des diffuseurs en matière de fiction française. Pour une étudiante en Production Audiovisuelle, spécialité TV, comme moi, c'était l'occasion rêvée d'appréhender mieux l'organisation du service fiction d'une chaine de TV mais également les contraintes de budget, de format etc. qui justifient leurs choix et leurs attentes. Vous trouverez ci-après un compte rendu des interventions auxquelles j’ai pu assister.

BILAN/TENDANCES EN VOLUME ET AUDIENCE DE LA FICTION EN 2012 (chiffres Médiamétrie)

Présenté par Caroline Veunac,  Journaliste spécialisée en fiction télévisée (GQ, UGC Illimité le Mag, …)

La fiction en France (étrangère et française) se porte bien : elle représente 26% des programmes proposés en 2012. On constate une forte appétence des téléspectateurs pour la fiction : 19 fictions ont réalisé une audience d’au moins 7 millions de téléspectateurs en 2012.

Sur les 100 meilleures audiences de fictions unitaires, 70 sont des fictions françaises et 27 viennent des USA. Sur les 100 meilleures fictions en série ou collection, 24 sont françaises et 76 viennent des USA.

Les séries américaines conservent donc largement l’avantage sur les séries.




Quelques exemples de bons scores de la fiction française en 2012 :

Les unitaires : TF1 avec Merlin 7,4 millions de téléspectateurs / France 2 avec La smala s’en mêle 6 millions / France 3 avec Assassinée 5,7millions

Les séries : TF1 avec No limit 7,3 millions / Canal + avec Les revenants 1,6 millions (soit 700 000 de plus qu’Engrenages et 300 000 de plus que Braquo) / Arte avec Ainsi soit-il 1,7millions

Les séries établies : TF1 avec Joséphine ange gardien 7,5 millions / France 2 avec Fais pas ci fais pas ça 5,4 millions

Les formats courts : M6 avec Scènes de ménages 5,6 millions / France 3 avec Plus belle la vie 6 millions / TF1 avec Nos chers voisins 9 millions

La fiction française ne combat pas encore la fiction US qui fait de meilleures audiences mais les français y sont très attachés : 7/10 personnes interrogées regardent régulièrement au moins une fiction française en 2012 (+7points par rapport à 2011) et 50% des téléspectateurs regardent de la fiction française plusieurs fois par semaine. Concrètement, « plus on regarde de la fiction française, plus on a envie d’en regarder » conclut Caroline Veunac.


Les genres favoris des français sont la comédie (65%) et le polar/suspens (61%, le seul genre en progression cette année : +5points). Par ailleurs, les français préfèrent dans l’ordre dans une fiction : l’intrigue, le scénario, l’histoire puis seulement les personnages, les acteurs et les décors.


Au niveau du format, le 90’ perd du terrain dans les attentes du public, de même que le 26’ et le 5’. Seul le 52’ gagne des adeptes : il est actuellement au cœur des envies des téléspectateurs


2012 /2013 : tendances éditoriales des chaines


Avec la crise économique, les budgets sont revus à la baisse alors que les français attendent de plus en plus de la fiction française, ils veulent la même sophistication que les séries US : Nous avons donc des difficultés en France pour concilier les finances et l’ambition créative. Il est compliqué d’équilibrer l’audience assurée et le pari artistique risqué.


Les grandes tendances dans la fiction française :

Le recours à la coproduction internationale 



Evidemment car les budgets sont multipliés par le nombre de partenaires. Cela permet également de rentabiliser le programme grâce aux ventes internationales (optimisation des chances de vendre le programme) ex : Borgia 1,4 millions de téléspectateurs en France, 6,2 millions sur ZDF en Allemagne


Canal a consacré 25% de son budget aux copro en 2012 : XIII (France/Canada) / Le vol des cygognes / The tunnel (à venir, France/UK), … La copro donne une dimension plus prestigieuse au programme et accroit son effet à l’international

Généralement ces séries sont gérées par des show runners de grand renom, et scénarisées en anglais.

Les autres chaines se mettent aussi à la copro :TF1 avec des projets comme Joe (polar en Anglais avec Jean Reno (France/UK/Danemark) vendu dans 170 pays avant même la diffusion, dont les USA, Crossing lights avec Marc Lavoine et Donald Sutherland, une déclinaison de Taxi tournée à NYC


M6 avec Le Transporteur


France 2 : meurtre au paradis (copro avec La BBC, mais pas de date de diffusion prévue)


Arte est très à l’aise avec la copro européenne depuis quelques années : Audisseus (Espagne/Portugal) et d’autres projets : Babylone, Les hérétiques, ...

Le recours au format court, une certaine réponse à la crise ?


Ce format permet de baisser les coûts de production et est très fédérateur. Il reste dans l’air du temps : France 2 prévoit la suite d’Un gars une fille : Parents mode d’emploi


La majorité des programmes courts sont des comédies sociologiques mais peu à peu d’autres sujets sont envisagés comme le handicap dans Vestiaire sur France 2, ou Bref sur Canal


On constate une intégration de nouvelles formes d’écritures, d’éléments feuilletonnants

Les formats de 26’sont également appréciés, principalement sur Canal + : Kaboul Kitchen / Platane, de même que les 13’ : Working girls / Les lascars

Le transmedia

Arte est le pionnier avec The Spiral, série participative avec une plateforme d’enquête simultanée sur internet. C’est un bon moyen de s’adapter à la consommation délinéarisée et multi supports et de fédérer le public européen avec une thématique et des modes de diffusion adaptés, même si les audiences restent confidentielles

France 5 développe Anarchy, une série transmedia 8x26’ : la chaîne prévoit le lancement d’un jeu en ligne avant la diffusion, avec une influence sur le déroulement de la série. Le transmedia permet également de toucher des publics plus jeunes


La scripted reality

Depuis Hollywood girls sur la TNT, les chaines s’approprient le concept du docu-fiction, le « feuilleton du réel » : Face au doute sur M6, Le jour où tout a basculé sur France 2

La scripted permet de baisser le coût des programmes tout en réalisant potentiellement de grandes audiences

La série comme enjeu en matière de fiction

Le 52’ regroupe de plus en plus d’amateurs, c’est l’objet principal de recherche des chaines, notamment Canal+ : 12 fictions 52’ sont en cours d’écriture dans différents genres (dont Barbarella, adapté du film)

France 2 : Fais pas ci fais pas ça / Cain / Main courante / … ainsi que le développement de séries contemporaines qui fonctionnent très bien comme Les hommes de l’ombre (20% de PDA pour les épisodes 1 et 2 puis 17% pour les épisodes 3 et 4 avec un coût de l’épisode à 800 000€ contre 700 000€ habituellement)

France 3 : Un village français, dont la saison 4 a très bien marché. La saison 5 est en cours de développement


France 4 dispose désormais d’un budget fiction pour toucher un public plus jeune. 4 séries de 52’ sont en développement, sur des thématiques fantastiques/surnaturelles

Arte : Xanadu / Les invincibles / Fortune / Ainsi soit-il, le gros succès de 2012. Une case est dédiée le jeudi soir : plus de 10 projets sont en développement, notamment des séries en 3 volumes comme le fait la BBC

TF1 reste adepte du 90’ mais s’est mis au 52’ en 2012 avec No limit / Falco. La croisière est en projet pour 2013

M6 a très peu d’investissements en fictionDe plus en plus, on constate que les séries sont endurantes sur plusieurs saisons.

Le rôle des chaines de la TNT

Ces chaines ont des budgets très limités mais un fort intérêt pour la création originale. Elles apprécient particulièrement les formats courts et les 26’. Elles disposent d’une forte liberté dans le ton/ sur la ligne artistique. Ce sont des chaines plus jeunes, où il y a plus d’opportunités.

NRJ12 produit le 52’ L’été où tout a basculé. Elle a pour objectif de produire un soap quotidien, adaptation d’une télénovela. En 2013, elle lancera C’est la crise, avec Anne Roumanoff

D8 adapte les Infidèles (le film) en 80 épisodes de shortcom, intitulés Flag

NT1 lance VDM (vie de merde) en shortcom

HD1 lance 2 projets de shortcom : Ma meuf et Ce qui en me tue pas me rend plus folle

On constate un certain dynamisme à la TV française malgré le contexte économique, et une volonté de création originale. Le nombre croissant d’acteurs est une opportunité pour les auteurs.

mardi 22 janvier 2013

Mécanique de fabrication des séries US

Bonjour à tous et bonne année !

Après cette longue absence due à la fin du semestre (dossiers à rendre, vacances, partiels !), j'aimerais faire un focus sur la mécanique de fabrication des séries américaines pour mon retour sur ce blog. On m'en a beaucoup parlé il y a quelques semaines, j'ai lu des articles notamment de l'Express.fr et Lepoint.fr, et j'ai également assisté à un tout nouveau cours : processus de fabrication et d'acquisition des séries US. Passionnant. On a beau savoir que les américains et les français ne font pas les choses de la même façon, c'est très intéressant d'explorer en détail les process qu'ils utilisent et qui fonctionnent si bien.

Retour sur la mécanique américaine ...

La chaine : principal décisionnaire

Aux USA c'est la chaine qui décide du style de la série, du contenu, des vedettes qui joueront dedans, ... De nombreuses études sur les goûts du public sont effectuées avant de commencer à réfléchir à un projet, de même qu'une réflexion sur les séries diffusées les années précédentes pour comprendre les erreurs, les réussites et les attentes des téléspectateurs.

En octobre, chaque année, les chaines lancent des appels à projets aux producteurs. Elles recoivent de très nombreux dossiers à étudier, et choisissent les idées qui leur semblent le plus en adéquation avec les tendances et les désirs actuels. Les textes sont commandés. S'ils sont bons, un pilote est tourné. Sinon, le projet est abandonné.

Le deficit financing

Aux USA, la particularité est qu'un épisode de série coûte plus cher au producteur qu'à la chaine. Le producteur est ainsi beaucoup moins couvert qu'en France et a tout intérêt à vendre sa série le mieux possible à l'international, à faire des produits dérivés, des DVDs, à vendre la série à des chaines du câble etc... pour rentrer dans ses frais. Par exemple, pour un épisode à 2 millions de dollars, la chaîne ne finance qu'1,7 million. Le producteur doit donc générer 300 000 dollars de recettes par épisode, soit un total d'un peu moins de 10 millions de dollars par saison de 24 épisodes.

En avril, le pilote est terminé. les chaines commencent par le présenter aux annonceurs lors de "upfronts". Ce sont de grosses manifestations où les annonceurs décident ou non d'investir dans la chaine qui propose la série. Il est primordial que le pilote soit d'excellente qualité pour convaincre les annonceurs d'investir.

En mai, les producteurs cherchent des financements complémentaires lors des "Screenings" à Los Angeles. C'est lors de cette manifestation que les chaines françaises posent des options sur les séries américaines. Certaines ont des accords avec les majors, comme le droit de premier regard par exemple.


Le show-runner, grand manitou

En juin, les studios commencent à "fabriquer" la série. C'est là qu'intervient le show-runner, le chef de projet en quelque sorte. Il gère la direction à la fois artistique et industrielle de la série, il compose les équipes de scénaristes et les équipes de production.

Un pôle de scénaristes, la "writing room"

Le processus décriture est très différent aux USA. En France, les pratiques sont limitées à cause du droit d'auteur, inaliénable et qui donne à l'auteur un droit sur ce qu'il a écrit, à vie. "Le copyright à l'américaine se prête mieux à l'écriture collective que le régime français des droits d'auteur. Avec le copyright, l'auteur écrit, il est payé, et ensuite il n'a plus de droits sur son scénario" explique Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction française sur Canal +

Par ailleurs, les personnages, y compris secondaires, doivent avoir une grande profondeur aux USA. Les scénaristes jouent beaucoup sur la temporalité dans la narrativité, c'est à dire les flash-backs, une voix off, des ellipses qui aident à exprimer les émotions et les actions des personnages. L'enfance du personnage est très utilisée, de même que sa psychologie profonde, des armes supplémentaires qui amènent à l'identification du spectateur aux héros de la série. 

Pour plus de réalisme, on engage également des experts qui aideront à la vraissemblance des détails techniques (médecins, policiers, avocats, ...)

 

Une production en flux tendu

Un épisode est tourné en 7 jours environ. Les tournages commencent courant juillet/août et fonctionnent en flux tendu. C'est à dire que la saison commence avec 3 ou 4 épisodes en stock, et jusqu'en décembre les épisodes sont tournés avec, en simultané, un épisode en préparation, un en tournage, et un en post-production.

Si les audiences sont bonnes, la chaine commande 12 autres épisodes jusqu'en avril/mai.

Et la France alors ?

Si ce modèle était adapté en France, de profondes mutations dans la programmation devraient avoir lieu. En effet, les chaines françaises diffusent généralement deux épisodes de 52 minutes à la suite, contrairement aux USA qui ne diffusent qu'un épisode par semaine, mais qui programment de nombreuses séries à la fois. De même, là où les USA diffusent des séries de 24 épisodes, les français sont frileux à en commander plus de 8. Au delà de la chaine de fabrication, c'est donc toute la logique de programmation qui est différente.

"Pour améliorer la qualité, il faut produire plus et lancer plusieurs projets, car, forcément, il y aura des échecs" déclare un membre de l'IMCA. Et vous, qu'en pensez-vous ?